La réforme récente des retraites a mis en lumière la nécessité, pour les travailleurs dits seniors, de poursuivre leur activité quelques années de plus. Or, la France a le bonnet d’âne en matière d’emploi des seniors : le taux d’emploi des salariés âgés de 55 à 64 ans s’élève à 56 % et reste inférieur à la moyenne européenne de 59 %. À titre de comparaison, en Suède, le taux d’emploi des seniors est de 76,9% !  Au moment où le marché du travail est en forte tension, et où des études internationales montrent que le phénomène de « Grande Démission » est en grande partie due aux départs des seniors en retraite anticipée, il est grand temps pour les entreprises de lutter contre les stéréotypes et de mettre en place des mesures pour fidéliser leurs salariés chevronnés.

  1. Déconstruire les stéréotypes sur les seniors

Les préjugés sont nombreux sur les seniors. En 1er lieu, ils seraient plus souvent plus malades et donc plus souvent absents au travail. Une étude sur l’absentéisme de Malakoff Humanis (1) montre l’inverse. Entre 2016 et 2022, 42 % des salariés âgés de 18 à 34 ans se sont vus prescrire un arrêt de travail, contre 34 % pour les 50 ans et plus.

Autre frein exprimé par les recruteurs sur le seniors : leur inadaptation présumée aux nouvelles technologies et leurs difficultés d’intégration dans les équipes. Pourtant, selon un récent sondage Ifop pour Freelance.com (2), « 52% des seniors interrogés souhaiteraient élargir le champ d’intervention au sein de leur emploi actuel, en exerçant d’autres missions ou en intervenant sur des projets transversaux » et « 69% aimeraient avoir la possibilité de faciliter l’intégration de plus jeunes salariés au sein de leur emploi actuel ». Visiblement, les seniors sont prêts à sortir de leur zone de confort, et expriment le désir de transmettre ; ils ne craignent pas de collaborer avec les jeunes générations, bien au contraire !

Autre difficulté invoquée à l’égard des seniors : les managers craignent de ne pas savoir les encadrer. Soit, mais l’art du management s’apprend, c’est sûrement un des sujets sur lesquels les entreprises proposent le plus de formations … Par conséquent, manager des seniors s’apprend, à l’heure où les entreprises développent la diversité et l’inclusion !

  1. Les seniors : une ressource à choyer pour l’entreprise

Alors que les entreprises travaillent à attirer la génération Z qui exprime d’autres attentes que ses aînés au travail, il convient de rappeler que le vieillissement démographique de la population ne laisse pas le choix aux entreprises : elles vont devoir composer dans les années à venir avec les générations X et Y, déjà intégrées dans le monde du travail. En outre, on ne tient pas assez compte de la valeur ajoutée qu’apportent les seniors à l’entreprise, et notamment :

  • Des études montrent que les seniors et la génération X sont bien plus fidèles à l’entreprise que leurs homologues de la génération Z
  • Ils ont un sentiment d’appartenance forte à l’entreprise: toujours dans l’étude Ifop, « 74% sont fiers de travailler pour leur entreprise ». Un avantage pour la cohésion et le rayonnement d’une culture d’entreprise
  • Se priver des seniors, c’est se passer d’une expérience et d’une expertise approfondies. Dans certains métiers techniques, la non-transmission du savoir-faire des aînés peut signer l’arrêt de mort de l’entreprise
  • Un marché du travail en forte tension : pourquoi se passer de l’expérience et des compétences des seniors ?
  • La démographie: la population vieillit et de nouveaux besoins s’expriment. On parle d’ailleurs de « Silver économie ». Qui est le mieux placé pour comprendre les besoins et les attentes de cette population vieillissante ?
  • L’entreprise se nourrit de talents et de points de vue différents. Les seniors apportent une autre manière de réfléchir dans les équipes intergénérationnelles
  • Les seniors ont un carnet d’adresses professionnel précieux pour l’entreprise, comme ils ont aussi une connaissance pointue des dirigeants et des équipes des clients et fournisseurs
  1. Comment fidéliser les salariés seniors ?

Pour commencer, changer le regard des employeurs et recruteurs sur les préjugés véhiculés et souvent non fondés à l’égard des seniors. Il faut former et sensibiliser les collaborateurs de l’entreprise à la richesse qu’ils apportent. Les managers ont un rôle important à jouer dans la déconstruction des clichés. Ensuite, l’entreprise a tout à gagner à miser sur la transmission des savoirs. Les seniors y sont attachés, qu’elles en profitent ! C’est pourquoi beaucoup d’organisations ont mis en place des programmes spécifiques de mentorat. Une pratique intéressante dans ce cadre : l’intégration du nouveau collaborateur lors des premiers mois facilitée par un aîné (onboarding).

Deux gros chantiers permettront de capitaliser sur la contribution de seniors à l’entreprise : la formation et la gestion de carrière des seniors. Selon l’Ifop et le club Landoy (3), « Entre 45 ans et 62 ans, seul 1 salarié sur 10 a suivi une formation, en 2021, via son compte personnel de formation (CPF) ou via le Droit Individuel à la Formation (DIF) et 16% sans ». Les structures préfèrent investir sur les plus jeunes, ce qui n’a pas de sens lorsqu’on sait que l’obsolescence des compétences s’accélère. Former les seniors signifie en amont que la DRH accompagne et anticipe les enjeux de compétences et de mobilité les concernant. Les seniors ont une attente forte en la matière. C’est aux services RH qu’il convient de mettre en place des dispositifs d’accompagnement spécifiques, comme la mise à disposition du salarié à l’extérieur de l’entreprise ou encore le portage.

 

Outre une plus grande vigilance portée à la Qualité de Vie au Travail du senior, les organisations doivent aussi repenser la politique de rémunération. Alors que la rémunération moyenne des seniors en France est un frein structurel à leur embauche, la revalorisation salariale doit résulter d’un niveau de compétences supérieur et des responsabilités qui en découlent, au détriment de l’ancienneté. Enfin, l’État peut inciter les entreprises à recruter des seniors via la mise en place de dispositifs financiers, comme la modulation des cotisations sociales patronales en fonction de l’âge du salarié. Enfin, il serait judicieux de mettre progressivement fin aux « préretraites Unedic » qui encourage les entreprises à se séparer de leurs seniors avant l’âge de départ légal à la retraite. Au fond, il s’agit bien d’arrêter de voir dans les salariés seniors des sous-salariés inadaptés au travail moderne, sans pour autant forcer la main aux entreprises ; elles sont assez clairvoyantes pour comprendre l’intérêt de s’appuyer sur des collaborateurs expérimentés. N’oublions pas non plus que le travail senior est inadapté à l’environnement et aux besoins de certaines entreprises.

 

(1) Baromètre de l’absentéisme 2022 : Malakoff Humanis

(2) Sondage Ifop pour Freelance.com, mars 2023 – Enquête menée auprès d’un échantillon de 1.000 salariés de 50 ans et plus, travaillant dans des structures de 150 salariés et plus, secteur privé ou public)

(3) Baromètre Landoy, édition 2021